Retour de pêche à la coquille Saint Jacques avec le Gros Loulou

Par Marie-Aline Prevost

Le Gros Loulou nous a donné rendez-vous sur le port de Trouville, en Normandie. La coquille Saint-Jacques, c’est sa raison de vivre pour les prochaines semaines. Enfilez pull et bonnet marins… et c’est parti pour la « débarque » des premières coquilles de la saison ! 

Dans cet article

Dans la brume matinale d’automne surgissent les lumières du Gros Loulou, un bateau de pêche de 16 mètres. Il est 5 h 30 du matin. Le bruit sourd du moteur s’amplifie à mesure que le bateau s’approche du quai et exécute sa manœuvre d’accostage dans un bruit de frottement sourd. Il fait à peine une petite dizaine de degrés sur le quai du port de Trouville, je grelotte dans ma doudoune à capuche en respirant quelques lourds effluves de gazoil aux côtés d’Arnaud Perchey, patron du Gros Loulou, et de son fils Brice, dix-sept ans. Deux solides gaillards chaussés de hautes bottes sortent sur le pont du bateau, l’un en ciré jaune à capuche, l’autre, rouquin barbu, en pull marin rayé bleu et blanc. Ils s’activent sans un mot à l’avant du Gros Loulou, concentrés sur leur gestes précis et puissants : la trappe avant s’ouvre, un rais de lumière monte de la cale, le treuil est positionné vers l’ouverture dans un léger grincement.  

 Très vite, la première caisse remonte à la surface, suivie de plusieurs autres, pleines à ras bord de coquilles Saint-Jacques tout juste pêchées de la nuit… 

« La débarque », comprenez le déchargement de la cargaison dans le langage des marins-pêcheurs, va commencer. Très vite, la première caisse remonte à la surface, suivie de plusieurs autres, toutes pleines à ras bord de coquilles Saint-Jacques fraîches et luisantes, tout juste pêchées de la nuit…  Maintenue fermement par le marin au ciré, chaque caisse est directement translatée vers le camion frigorifique posté le long du quai. Dans le véhicule, les mains rougies par le froid, Arnaud et son fils empilent à toute vitesse les caisses dans un ballet bien rôdé. En quelques minutes, le camion est chargé. Le grand rouquin en pull marin – j’ai compris que c’est le capitaine du Gros Loulou - s’accorde une dernière pause cigarette en échangeant avec son patron quelques mots sur le prochain plan de pêche. « A demain, les gars ! » : il est à peine six heures quand sonne dans la brume l’église du village, et déjà le bateau et ses hommes d’équipage repartent en mer pour 24 heures de pêche supplémentaires. La pêche à la coquille, ce n’est pas un travail, c’est un sacerdoce… Le déchargement du bateau aura duré une toute petite demi-heure… Le Gros Loulou s’éloigne déjà vers le large, créant un courant d’air glacé qui vient fouetter mon visage. Le temps est clément, la mer belle, et la saison de la coquille, elle, n’attend pas…  

 La pêche à la coquille, ce n’est pas un travail, c’est un sacerdoce. Le déchargement du bateau aura duré une toute petite demi-heure…

Excitant et dangereux comme métier 

D’octobre à mi-mai, le bateau de la famille Perchey tourne sans relâche, six jours par semaine dont quatre consacrés à la coquille Saint-Jacques. Il est alors équipé de dragues « anglaises » qui raclent les fonds uniquement des zones autorisées pour soulever les fameuses coquilles Saint-Jacques enfouies dans le sédiment marin, et ce, durant un temps limité par jour. C’est une pêche dangereuse, précise, et très réglementée, car les gisements de ce coquillage sauvage au goût si prisé sont protégés. Les coquilles sont capturées dans une poche formée par un maillage de métal à sa base et un filet dans sa partie supérieure. Les poches une fois pleines sont hissées sur le bateau dans une manœuvre très risquée : le moindre faux pas et les peignes en métal peuvent accrocher un pied et entraîner le pêcheur à la mer…  

« Au large, les dragues peuvent parfois remonter 2 tonnes de cailloux pour seulement 40 kilos de coquilles, c’est très peu, et très physique », explique Arnaud Perchey. « Les coquilles sont triées sur le pont du bateau pour ne garder que les plus grosses, celles entre 11 et 13 cm de diamètre : les trop petites sont aussitôt rejetées à la mer pour continuer à grossir », précise -il. Une fois triées, elles sont mises en bacs et entreposées au frais dans les cales du bateau.  

 Pêcheur en mer est un métier très physique, dangereux, qu’on ne peut exercer très longtemps…

La virée au marché 

6 h 15. Dans Trouville encore endormie, nous filons en camion jusqu’à la réserve de glace des Perchey. Arnaud grimpe lestement dans la chambre à glace muni d’une pelle. D’un geste régulier, il recouvre d’une grosse pelletée de paillettes de glace chaque caisse déchargée et rechargée aussitôt dans le camion par son fils Brice. Recouvertes de glace, les coquilles conservent un état de fraîcheur maximal. Puis nous repartons sans tarder, direction le marché de Deauville tout proche, l’un des plus typiques des rivages normands. Là, sa femme et ses parents s’affairent déjà à installer leur stand. 

7 heures. Les visages rougis par le froid, on s’accorde une pause café-croissant au bistrot du coin pour se réchauffer. Arnaud, en bon pêcheur, est de l’étoffe des taiseux, économe en mots comme en gestes, il livre avec une retenue pudique sa passion pour la pêche, celle à la coquille Saint-Jacques en particulier. A quarante-deux ans, il laissera bientôt sa place à son fils sur le bateau : « Pêcheur en mer est un métier très physique, dangereux, qu’on ne peut exercer très longtemps…» La mer, ça vous use… mais pour la bonne cause : rapporter dans l’assiette de ses clients l’un des meilleurs coquillages sauvages au monde… « Ce que j’aime dans la coquille Saint-Jacques, avoue avec un sourire Arnaud Perchey, c’est sa saveur légèrement sucrée avec un soupçon de noisette et sa simplicité de dégustation. »  

7 h 30. A côté des rougets, soles, turbots et autres encornets, plusieurs bacs de coquilles Saint-Jacques trouvent leur place sur l’étal, sur une bonne couche de glace pilée. Le stand familial est prêt à accueillir les premiers clients, alors que le jour commence à peine à se lever.  

Il est grand temps de préparer les commandes. Deux, quatre, six, dix… coquilles, les Perchey s’affairent à compter et à remplir des dizaines de sacs qui crissent et s’entrechoquent… soit près de 800 kilos ce jour-là ! Elles finiront pour la plupart chez des restaurateurs de la région : dans quelques heures, les fameuses coquilles Saint-Jacques label Rouge se retrouveront sur les tables normandes…  Entre l’arrivée de la coquille Saint-Jacques au port et le panier du premier client, à peine trois heures se sont écoulées ! 

Crue, un délice !  

Le jeune Brice prend une coquille Saint-Jacques dans une main, passe la lame d’un couteau entre les deux valves et ouvre le coquillage d’un coup sec et ample. La noix et son corail trônent au centre. « La Saint-Jacques de la Baie de Seine ? Pour moi, c’est la meilleure ! », dit-il en me tendant un morceau pour la déguster, crue : impossible de refuser ce plaisir rare ! Un léger goût sucré de noisette mêlé à une très fine saveur iodée, une consistance fondante en bouche : j’approuve aussitôt ! Cette Saint-Jacques tout juste sortie des flots est bien la meilleure que j’aie jamais dégustée ! 

Préserver ce coquillage sauvage 

La coquille Saint-Jacques ne se développe qu’en milieu sauvage, d’où la nécessité de protéger ses conditions de reproduction et d’éviter la surpêche. Chaque année, le stock de coquilles Saint-Jacques dans la baie de Seine et les autres zones de pêche normandes est évalué par un comité de scientifiques. S’en suit une pêche très réglementée. Toutes les sorties en mer sont marquées par un système de GPS qui vérifie le trajet du bateau dans les zones de pêche autorisées au jour J. Et chaque sortie est limitée par un quota maximal en fonction de la taille du bateau. De plus, tous les ans, sur les cinq zones de pêche de la baie de Seine, l’une d’entre elles n’est pas exploitée, car les coquilles ont besoin de plus de 2 ans pour atteindre la taille autorisée.

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